lundi 24 septembre 2012

Les problématiques de l'agrandissement

Par Émilie Tanniou

La réouverture en 2012, après quatre ans de travaux, du Ritz-Carlton de Montréal coiffé d'une structure  en verre, illustre l'importance des adjonctions dans le paysage urbain. Celles-ci répondent à des modes et sont plus ou moins discrètes selon l'époque et l'architecte.

L'aspect d'un bâtiment change avec le temps, après un agrandissement mais aussi suite à un changement d'affectation. Les ajouts apportés servent à agrandir l'espace ou à mieux correspondre à la nouvelle fonction d'un édifice. 
S'il est possible de lire un bâtiment, il en est de même pour ses adjonctions. En effet, celles-ci sont représentatives de l'époque à laquelle elles ont été conçues. Elles révèlent la manière de penser la transformation du bâti d'une période à une autre. Ces adjonctions sont alors tributaires des avancées technologiques, de la transformation des matériaux et également de changements de mentalité. Les ajouts des années 1960 et des années 2000 ne se ressemblent pas.
Aussi, les ajouts ont presque autant à nous apprendre sur l'histoire de l'architecture que le bâtiment lui-même. Ils montrent également la perception que les concepteurs des projets de transformation ont du bâtiment. Ceux-ci peuvent tâcher de respecter la facture extérieure de l'édifice ou au contraire de rendre méconnaissable un bâtiment. 

Depuis les années 1990 et leur approche post-moderniste (prise en compte de l'environnement bâti), l'ajout est souvent conçu pour s'intégrer à la construction de départ en opérant un rappel des matériaux, des couleurs, des proportions, du style architectural. Cette conception s'oppose à celle qui a généralement prévalu des années 1960 aux années 1980 et qui choisit de différencier cet ajout du reste du bâtiment. Les matériaux, couleurs, proportions et le style architectural sont cette fois choisis dans cet esprit. 
Aujourd'hui, le verre domine largement dans les adjonctions aux édifices. La transparence doit ainsi permettre de voir le bâtiment à travers l'appendice.
Le souci d'intégration au bâtiment est de mise car après quelques décennies, l'ajout peut apparaître comme daté et finalement ne s'intégrant pas à son environnement. 

La question de ces ajouts se pose seulement pour les bâtiments ne présentant pas de caractéristique exceptionnelle. En effet, les adjonctions aux monuments historiques sont à prendre avec davantage de précaution.
La charte de Venise de 1964 a pris position sur ces adjonctions. Cette charte, bien que parfois critiquée, sert encore aujourd'hui de référence pour les professionnels du patrimoine. 
La charte de Venise stipule (aux sujets des monuments historiques) que : "Article 13. Les adjonctions ne peuvent être tolérées que pour autant qu'elles respectent toutes les parties intéressantes de l'édifice, son cadre traditionnel, l'équilibre de sa composition et ses relations avec le milieu environnant"1.

Les édifices auxquels nous faisons référence ne sont pas classés mais ont toutefois des caractéristiques intéressantes. Aussi, l'article 13 de la charte de Venise peut servir de référence lors d'adjonctions à ces bâtiments.

Ci-dessous une adjonction des années 1970. Le souci d'intégration au triplex de la fin du XIXe siècle est inexistant, hormis pour le rappel de couleurs des matériaux: la brique grise fait écho à la pierre grise de l'édifice. L'ajout cache en partie la façade du triplex, il ne respecte donc pas "l'équilibre de sa composition".  Alors que le bâtiment privilégie les arrondis, l'appendice est de forme cubique et quand l'édifice est composé de fenêtres individuelles et de dimension moyenne, l'adjonction fait en revanche le choix d'une grande baie vitrée.
Tous ces éléments permettent de dater l'ajout.

Rue De la montagne, entre Sainte-Catherine et René-Lévesque

L'ajout suivant date à peut près de la même époque. Il ne s'intègre guère davantage au bâtiment du début du XXe siècle mais respecte cette fois les proportions de l'édifice au niveau de la largeur et de l'environnement au niveau de la hauteur de la maison adjacente. De plus, l'agrandissement par la hauteur a l'avantage de ne pas dissimuler une partie de la façade.

Près du métro Guy-Concordia,  entre Sainte-Catherine et René-Lévesque 

Plus récente, le prochain ajout est toutefois similaire au précédent. L'agrandissement a lieu en ajoutant un étage qui respecte la largeur de l'édifice. Les matériaux et leur couleur ne sont pas respectés mais la symétrie du bâtiment l'est. Le nouvel étage reprend l'agencement des fenêtres de l'étage intermédiaire tout en les décalant ou en changeant la forme. En somme, l'appendice prend en compte les caractéristiques du bâtiment mais décide d'en jouer.
Dans le Mile carré doré, près du musée des beaux-arts, au-dessus de  Sherbrooke


L'agrandissement de cette demeure de la fin du XIXe siècle ne reprend pas le matériau, la pierre rouge, mais fait référence à sa couleur. Les ouvertures de cette pièce reprennent également l'arc en plein cintre utilisé dans presque toutes les fenêtres de la maison. Enfin, si l'appendice cache une partie de la façade, elle n'en dissimule toutefois pas la totalité.
Côte-des-neiges coin Sherbrooke


Cette fois-ci, l'ajout des années 1980 est tellement différent de la façade qu'il semble davantage être apposé qu'intégré à cette caserne de pompiers du début du XXe siècle.
Côte-Saint-Antoine coin Prudhomme, Notre-Dame de Grâce


Prenons cette fois des exemples contemporains. Le Ritz choisit l'agrandissement par le haut et sur le côté, en utilisant le verre. Effectivement, le verre est souvent considéré comme provoquant une rupture moindre que d'autres matériaux, perçus comme plus difficiles à intégrer.

Rue Sherbrooke entre Drummond et De la montagne


Une autre manière de faire consiste à considérer que les adjonctions sont nécessairement difficiles à intégrer et prend alors le parti de proposer une construction autre, qui toutefois, ne nuirait pas au bâtiment. Cet agrandissement du musée des beaux-arts de Montréal datant de 2011 ne modifie pas l'église de style néo-roman. Elle s'insère sur le côté et en partie sur le dessus. Cela nécessite d'avoir suffisamment de place pour créer un appendice sur le côté. 
Même s'il est en tout point différent de l'église, l'ajout fait appel au post-modernisme en prenant en compte l'environnement. En témoigne le revêtement marbré de ses murs qui établit un lien direct avec celui d'un autre bâtiment du musée, situé en face.
Avenue du musée


Dernier exemple, un cas d'intégration plutôt réussie puisque la passerelle en verre ajoutée pour relier trois bâtiments, une usine et deux bâtiments civils, se fait très discrète. Elle reprend en partie les proportions de la bâtisse du milieu et divise les vitres en bandes étroites, rappelant les fenêtres de l'édifice de gauche.
Rue Maisonneuve, entre Saint-Mathieu et Saint-Marc

Après avoir passé en revue la manière de concevoir les différentes formes d'adjonctions à travers les époques, on peut ainsi se demander si les appendices de verre, plébiscités aujourd'hui ne seront pas critiqués demain.

La semaine prochaine: l'ornementation du bâti.

1. La charte de Venise: (Charte internationale sur la conservation et la préservation des monuments et des sites), rédigée lors du IIe congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques et ratifiée par l'ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites)

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